Pierre Calame : Faire du Forum China - Europa une plate-forme durable et multi acteurs d’échanges et d’enrichissements mutuels sur les villes chinoises et européennes
Faire du Forum China - Europa une plate-forme durable et multi acteurs d’échanges et d’enrichissements mutuels sur les villes chinoises et européennes
1. Les enjeux du dialogue : permettre aux villes d’assumer un rôle majeur dans la transition vers des sociétés durables
La Chine, jusqu’à une date récente, a été à majorité rurale. Conséquence du développement économique vertigineux des trente dernières années, elle est engagée dans un processus accéléré d’urbanisation et à ce titre confrontée à d’innombrables défis d’encadrement du développement urbain, de gestion de la société, d’intégration sociale, de préservation des sols fertiles, de financement, d’environnement. Face à ces défis, la Chine a la volonté de tirer parti de l’expérience de tous les pays qui l’ont précédée sur la voie de l’urbanisation. Elle porte un intérêt particulier aux réponses apportées par les pays européens, d’une part en raison de l’ancienneté de leurs urbanisations, qui donne le recul nécessaire pour apprécier les erreurs et les réussites, ensuite parce que les pays européens ont su garder la diversité de leurs villes, troisièmement parce que dans beaucoup de cas les pays ont cherché à associer efficacité du marché, justice sociale et préservation de l’environnement, enfin parce qu’il s’agit d’un continent densément peuplé, aux ressources naturelles limitées, situation qui le rapproche de la situation chinoise.
Les villes européennes, de leur côté, sont conscientes de s’être développées dans le contexte de la première révolution industrielle, du 19e siècle, puis de la seconde, du 20e siècle, en un temps où ressources naturelles et énergie paraissaient encore illimitées. La primauté donnée à la voiture après la seconde guerre mondiale, plus généralement les modes de vie et de consommation, fondés sur des modèles de développement dont la généralisation est incompatible avec la sauvegarde de la planète les contraint à repenser en profondeur leur mode de fonctionnement. C’est ce qui fait aussi qu’il serait déraisonnable pour les villes chinoises de commencer par se développer sur le modèle européen ou américain pour découvrir trop tard que ce modèle n’est pas viable.
Ainsi, malgré leur différence d’ancienneté et de rythme actuel de développement, villes chinoises et villes européennes sont confrontées ensemble au défi d’une transition vers des sociétés durables : les villes chinoises ne sont pas seulement en situation de tirer les leçons des réussites et des échecs de l’urbanisation européenne, elles sont aussi, à égalité avec ces dernières, leurs partenaires pour explorer de nouveaux modèles de développement.
Cette exploration est d’autant plus importante que les récentes conférences internationales ont montré l’extrême difficulté des Etats à coopérer ensemble pour conduire cette transition au nom du bien commun. Ainsi,le texte adopté par les Etats à l’issue de la conférence Rio + 20 fait le constat de l’impuissance des Etats à agir ensemble au service du bien commun et souligne, de page en page, le rôle que sont appelé à jouer les villes. Plus généralement, on peut observer que les Etats et les grandes entreprises, qui ont été les acteurs majeurs de l’organisation de l’économie et des sociétés au 20e siècle, ne sont pas les mieux à même de le faire au 21e siècle. On a de bonnes raisons de penser que les acteurs les mieux adaptés au défi de la construction de sociétés durables, conciliant efficacité économique, cohésion sociale et intégration harmonieuse des sociétés dans leur environnement naturel, seront d’un côté les villes et les territoires et de l’autre les filières globales de production. Ces deux acteurs, en effet, intégrent ces trois dimensions.
C’est donc une tâche historique qui attend les villes chinoises et européennes. On ne peut, dans ces conditions, que se réjouir de voir les autorités publiques chinoises et européennes au plus haut niveau – le premier ministre chinois Le Kequiang et le président de la Commission Européenne José Manuel Barroso-, signer au printemps 2012 un partenariat stratégique faisant de la question de l’urbanisation durable une priorité de leur coopération.
Le défi est immense. On connaît les quatre dimensions de la transition à conduire et chacune d’elles implique une véritable révolution à laquelle les villes peuvent puissamment contribuer.
C’est tout d’abord la nécessité de construire une communauté mondiale, c’est-à-dire la conscience d’un destin commun et l’habitude prise par les sociétés de prendre en main ensemble leurs problèmes. Les réseaux internationaux de villes, moins entravés que les Etats par les habitudes et les méthodes de la diplomatie, ont un rôle majeur à jouer dans la construction d’une telle communauté mondiale. C’est une véritable révolution anthropologique, car nous sommes habitués depuis des millénaires à nous penser comme des nations différentes, entretenant les unes vis-à-vis des autres des ressentiments et méfiances héritée de l’histoire, et dont les intérêts sont concurrents.
La deuxième révolution est une révolution éthique. L’ampleur des interdépendances entre les sociétés et entre l’humanité et la biosphère fait de la responsabilité à l’égard de nos actes individuels et collectifs le cœur de l’éthique du 21e siècle.
La troisième est une révolution de la gouvernance. Nos modes actuels de gestion de la société sont inadaptés à la gestion d’un monde complexe et interdépendant où la capacité à relier les questions, les acteurs et les niveaux de gouvernance devient essentielle et où il faut conjuguer unité et diversité.
La quatrième est une révolution de l’économie. Il faut inventer de nouveaux modes de production, d’échange et de consommation qui permettent d’assurer le bien être de tous dans le respect des limites de la planète.
Ces quatre révolutions sont le cahier des charges de la transition des villes vers des sociétés durables. Elles impliquent à la fois l’évolution des systèmes de pensée et des systèmes institutionnels, l’émergence de nouveaux acteurs, une capacité nouvelle à penser la complexité à partir du niveau local et à agir globalement, notamment à travers des réseaux internationaux de villes.
Le fait que le nouveau partenariat stratégique signé par l’Union Européenne et la Chine soit consacré à l’urbanisation a valeur de symbole et invite à fédérer les énergies autour de ces défis. Pour autant, il serait paradoxal de tout attendre de ces relations intergouvernementales. Si la mobilisation officielle des autorités européennes et chinoises est indispensable, car les Etats continuent à disposer de l’essentiel des ressources publiques, il n’en reste pas moins que la transition ne réussira qu’à condition de la mobilisation de l’ensemble des acteurs : collectivités territoriales, entreprises, organisations de la société civile.
2. De nombreux partenariats entre acteurs chinois et européens témoignent déjà de l’importance des villes et de l’urbanisation dans les relations entre les sociétés européenne et chinoise
Les grandes villes et les provinces chinoises ont toutes, déjà, un ou un plusieurs jumelages avec des homologues européennes. Si l’intensité et la profondeur des relations nées de ces partenariats sont inégales, leur nombre n’en atteste pas moins l’existence de flux d’échanges. Il en va de même des universités dont beaucoup ont déjà des programmes communs euro chinois où la dimension urbaine est rarement absente. Architectes et ingénieurs européens sont souvent impliqués dans l’urbanisation chinoise. Dans les domaines de l’eau, de l’assainissement, des transports, les transferts de technologies, le rapprochement des normes, les entreprises mixtes sont déjà fréquents. Dans leur souci de tirer le meilleur parti possible de l’expérience européenne, des délégations de maires ou de techniciens chinois sillonnent l’Europe chaque année et, dans le cadre des jumelages, de nombreux dirigeants locaux européens découvrent la Chine. Le nouveau partenariat stratégique entre Chine et Europe n’arrive pas en terrain vierge. Le premier enjeu en est donc de valoriser tous ces échanges préexistants et de s’assurer de leur fécondation mutuelle.
3. Un changement d’échelle et de profondeur des échanges est nécessaire
Tous les échanges existants sont source d’innovation de part et d’autre et rien ne vaut la découverte personnelle de nouvelles réalités, de nouveaux modes de pensée ou de nouvelles techniques pour rentrer chez soi transformé. Il n’en reste pas moins que cette somme de partenariats ponctuels n’est pas encore à l’échelle des défis posés à la Chine par son urbanisation rapide et moins encore à l’échelle de la grande transition à concevoir et conduire en commun. Les limites de l’état actuel des échanges sont autant de pistes pour aller plus loin.
Première limite, les maires, les entreprises et à moindre titre les universités sont à la recherche de réponses concrètes. Face à un problème de planification, de construction, d’équipement, de réseau, de traitement des eaux et des déchets, on va voir chez les autres les réponses qui ont été trouvées et ce sont elles que l’on adapte ou que l’on adopte. C’est efficace si l’énoncé des problèmes est luimême correct, ça l’est moins quand ce sont les termes mêmes du problème qu’il faudrait modifier ou quand les réponses européennes actuelles sont inadaptées à la transition à conduire. Les collectivités territoriales, poussées par l’urgence, sont plus volontiers disposées à financer des équipements qui se voient qu’à soutenir des réflexions dont les conséquences sont moins immédiates ou moins visibles. Pourtant, lorsque les modèles d’action ou les réponses apportées aux problèmes dont on cherche à s’inspirer sont eux-mêmes dépassés, rien n’est plus urgent au contraire que d’explorer de nouvelles voies. On connaît la fameuse formule de l’économiste John Meynard Keynes : « les hommes politiques sont les esclaves d’économistes morts depuis longtemps et dont ils ignorent même le nom ».
Ainsi, dans le domaine de la conception et de la gestion des villes, de la gouvernance et de l’économie, nous sommes prisonniers de fausses évidences, de conceptions héritées du passé, répondant à la réalité de la société au moment de leur naissance mais qui se perpétuent malgré leur inadaptation aux défis présents et à venir : modèle mécanique de planification urbaine, adaptation des villes à la voiture, étalement urbain, séparation spatiale des différentes fonctions, juxtaposition d’activités économiques sans lien entre elles, partage rigide des compétences entre les différents niveaux de gouvernance, segmentation des services publics, mode de gestion et de tarification inadapté de l’énergie et des ressources naturelles, excès de confiance dans l’efficacité de l’économie de marché, séparation des rôles entre les différents acteurs, traitement des problèmes en aval plus qu’en amont, illusion que les problèmes créés par l’introduction de nouvelles sciences et technologies seront résolus par plus de science et de technologie encore, conception normative et uniforme des quartiers et des villes coupés aussi bien de leurs racines culturelles et historiques que de leur environnement, ignorance mutuelle entre la ville et les campagnes environnantes, inadaptation des cadres administratifs et politiques à la nouvelle échelle des grandes agglomérations, modalités inadaptées de financement ne permettant pas d’intégrer lors des choix les coûts de fonctionnement futurs, on n’en finirait pas d’énoncer les conséquences des réponses irréfléchies apportées à des problèmes nouveaux, dans l’illusion d’être ainsi plus concrets.
Les mêmes remarques s’appliquent aussi, souvent, à la formation, soit parce que le conformisme des idées reçues interdit de s’interroger sur les hypothèses qui fondent la discipline, comme on le voit en économie, soit parce que sciences de l’ingénieur, sciences de la gestion et sciences sociales sont coupées l’une de l’autre, soit parce que la formation ne valorise pas suffisamment l’aller et retour entre étude de cas concrets et réflexion conceptuelle, soit encore parce que la formation, trop normative, est insuffisamment nourrie de l’échange international d’expériences.
Une seconde limite actuelle tient à la faiblesse, souvent constatée, des échanges d’expériences. Ces échanges sont certes omniprésents dans les relations qui se nouent entre villes, entre universités, entre entreprises ou entre professionnels, mais ils sont rarement mutualisés. Tout le monde s’accorde pourtant à dire que la construction d’une vaste base d’études de cas, d’expériences comparatives couvrant tous les champs de la conception et de la gestion des villes, serait un bien commun d’une immense valeur aussi bien pour la Chine que pour l’Europe. On sait bien que la découverte des réponses apportées à un même problème, selon les époques et les contextes, élargit l’esprit, fait comprendre qu’il existe une palette de solutions là où l’on envisageait des réponses standardisées. Mais la construction de cette base d’études de cas est oeuvre de longue haleine, compte tenu de la diversité des angles d’approche nécessaires pour embrasser la ville, l’urbanisation et la gestion urbaine et la juxtaposition d’échanges parallèles ne la favorise pas.
La réflexion sur le bon usage d’une telle base d’études de cas fait aussi défaut. La démarche est pourtant simple à énoncer : on part d’une grande diversité d’expériences concrètes, formant autant de réponses à un problème donné, et leur comparaison permet d’identifier des principes communs, des conditions communes de réussite ; cette identification de principes communs devient un cahier des charges de l’action future, qui permet à son tour d’explorer des réponses nouvelles. Mais sous son apparente simplicité elle est rarement mise en oeuvre car elle implique un effort collectif, international, conduit dans la durée, ce que ne permet pas la juxtaposition actuelle des échanges.
L’enjeu est donc que la coopération entre la Chine et l’Europe dans le domaine de l’urbanisation et de la transition vers des sociétés durables devienne un vaste processus historique d’apprentissage mutuel, conduit dans la longue durée. C’est lui qui permettrait de faire progressivement émerger les élites administratives et politiques et le corps de professionnels capables de conduire la transition. Car on sait que les plus belles idées, si elles ne sont portées par des personnes et des réseaux, restent lettre morte.
4. Les apports envisageables du Forum China – Europa aux défis de la transition
Le Forum China Europa (FCE) est né du constat que la multitude des échanges entre les divers acteurs des sociétés chinoise et européenne ne suffisait pas, du fait de leur dispersion même, à conduire ces deux sociétés, parmi les plus influentes du monde, à dialoguer ensemble, à dépasser les ressentiments ou préventions nés de l’histoire ancienne ou récente, à percevoir une communauté de destin, à apprendre ensemble à relever les défis communs de l’avenir. Ce qui vient d’être dit des coopérations dans le domaine des villes n’est qu’un des points d’application de ce constat général. Le Forum China Europa n’est ni une institution, ni un outil spécialisé de coopération sectorielle. Indépendant des pouvoirs publics, il ne leur est pas pour autant étranger et ils doivent y trouver eux aussi un espace de travail fécond. Le Forum est une volonté, un état d’esprit, un think tank collectif qui participe à l’invention de formes nouvelles d’intelligence partagée.
Une des caractéristiques de cet esprit nouveau est de sortir de la relation de maître à élève qui a prévalu depuis un siècle, depuis que le monde chinois, après avoir pris conscience du retard pris au 18e et 19e siècle, s’est mis à l’école de la pensée et des sciences et techniques occidentales pour combler son retard. Ce rapport d’inégalité entre partenaires a marqué et marque encore trop souvent les rapports de coopération. Or il n’est plus aujourd’hui d’actualité. D’abord parce que l’élève a déjà, à bien des égards, égalé le maître, ensuite parce que face aux défis nouveaux ils ont tous deux à apprendre l’un de l’autre. Le Forum part justement du constat que les deux partenaires se trouvent aujourd’hui, face aux défis de l’avenir, confrontés aux mêmes impasses, notamment intellectuelles. Ce qui compte aujourd’hui c’est d’apprendre ensemble à relever des défis communs : il n’existe pas de recette.
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, fratricide, entre pays européens, ce n’est pas la repentance des bourreaux qui a fondé la réconciliation et la paix, c’est au contraire la construction de ce qui allait devenir l’Union Européenne qui a créé les conditions de la repentance. Jean Monnet, que l’on appelle parfois le père de l’Europe, avait coutume de dire aux ennemis d’hier : « ne vous mettez pas de part et d’autre de la table, mettez vous du même côté pour faire face ensemble à vos défis communs ». Il pensait à l’époque à la construction d’une paix durable mais cette invitation à se mettre du même côté de la table vaut aujourd’hui pour la Chine et l’Europe, face à la nécessité urgente d’inventer des sociétés durables. C’est l’état d’esprit du Forum.
Il est fondé sur un principe de subsidiarité : là où les coopérations existent déjà et fonctionnent, nul besoin de s’y impliquer au risque de faire concurrence ou double emploi. Le Forum trouve son utilité là où il y a des manques. Or, nous venons de voir, à propos de la transition vers des villes durables, que ces manques étaient nombreux. Face à eux, le Forum ne manque pas d’atouts. Tout d’abord, sa méthode, par l’animation d’un grand nombre d’ateliers de réflexion décentralisés et interactifs, permet de libérer la parole, de sortir des jeux de rôle si fréquents « vous les chinois », « vous les européens » en faisant découvrir à tous les participants que les divergences d’opinion au sein de l’Europe ou au sein de la Chine sont souvent plus grandes qu’entre les Chinois d’un côté et les Européens de l’autre.
L’importance accordée aux méthodes se retrouve aussi dans la volonté d’inscrire chaque atelier dans une approche d’ensemble par un va et vient entre des ateliers dédiés chacun à des questions spécifiques et des séances plénières où l’on dégage de la confrontation des conclusions de chacun des perspectives plus générales.
Le Forum, état d’esprit et non institution, n’est en concurrence avec personne, à la différence, parfois des différents réseaux de villes, des différentes coopérations universitaires, des différentes entreprises mixtes, concurrents entre eux en termes d’identité et d’accès aux ressources. On observe même que quand la mutualisation de l’expérience est souhaitée par tous, il est bien difficile à l’un des acteurs d’en prendre l’initiative sans être suspecté par les autres de vouloir prendre l’ascendant.
Le Forum, espace neutre, peut peut être être à l’abri de telles suspicions.
Le Forum a par le passé organisé un grand nombre d’ateliers sur la question urbaine, mais bien d’autres ateliers traitent en apparence de sujets qui n’y sont pas rattachés. C’est une occasion d’enrichissement de la pensée. Les difficultés des transferts de technologies, l’orientation démocratique de la recherche scientifique, la responsabilité sociale des entreprises, la réforme de l’éducation, l’évolution vers une gouvernance plus participative, pour ne citer que quelques exemples, ne traitent pas en apparence de la ville mais apportent néanmoins d’utiles éclairages pour envisager l’avenir des villes.
L’effort fait à l’occasion des deux grandes rencontres du Forum en 2007 et 2010 pour identifier en Chine et en Europe des personnes et réseaux intéressés à dialoguer ensemble, quoique loin d’être abouti, a néanmoins conduit à rentrer en contact avec de multiples réseaux et a permis de tisser des liens de confiance, qui constituent un socle prometteur à partir duquel on peut aider des villes ou des réseaux de villes, en Europe et en Chine, à identifier des partenariats possibles, des visites intéressantes à faire, des réseaux d’experts à mobiliser, des exemples instructifs d’échecs ou de réussites.
Le Forum, riche de toutes ces promesses, n’en reste pas moins encore dans l’enfance. Sa mise au service de l’ambition du partenariat stratégique entre la Chine et l’Europe sur l’urbanisation serait l’occasion d’aller plus loin, en passant de l’échange libre des réflexions et d’expériences, qui est le préalable indispensable, à la résolution, ensemble, de problèmes concrets.
5. Structurer, par une diversité d’approches complémentaires le champ d’une coopération durable et féconde sur les villes
Les angles d’approche des problèmes urbains sont multiples. Cette diversité ne doit pas effrayer. Elle ne fait que refléter la complexité du fait urbain lui même et la nécessité d’en appréhender ensemble les différents aspects. En d’autres termes, la capacité collective que nous saurons montrer à relier entre eux ces différents angles d’approche, ces différentes dimensions des problèmes sera une bonne préfiguration de ce qui constitue précisément le défi de la transition : la capacité nouvelle à gérer la complexité de nos sociétés.
Si l’on admet que telles est bien une spécificité et une valeur ajoutée essentielle du Forum, les dialogues en son sein pourraient se structurer à partir des quatre points d’entrée suivants :
le premier, distingue les différents domaines auxquels s’applique la gouvernance : la conception des villes ou des quartiers nouveaux, le développement et la gestion des réseaux, les systèmes de transport, la gestion des écosystèmes, le logement pour tous, la politique de développement économique, l’alimentation des villes, la santé, l’éducation, la culture, etc… Très souvent c’est sur ces différents domaines, que se fonde l’organisation des compétences au sein des collectivités territoriales ;
un second angle d’approche peut être celui des moyens dont se dotent les sociétés locales pour se gérer : les normes et les règles ; la planification ; le financement des développements nouveaux ; la conception, la tarification et la gestion des services publics ; la fiscalité ; la politique foncière, etc.. ;
une troisième approche consistera à partir des grands objectifs de la gouvernance, souvent résumés en Chine par le concept de société harmonieuse : la justice sociale et à la cohésion (comme l’illustre l’important débat engagé en Chine sur l’intégration des migrants et leur accès au service public), la préservation des écosystèmes, la possibilité d’apporter du bien être à tous dans le respect des limites des ressources naturelles ;
une quatrième approche consistera à tirer parti de la réflexion collective déjà menée pour partir de ce qui est apparu, par l’échange d’expériences, comme la condition d’une transition réussie. Neuf conditions ont ainsi été identifiés : une bonne connaissance des métabolismes d’ensemble du système urbain, métabolismes masqués aujourd’hui par la prédominance des échanges monétaires ; la capacité à impliquer tous les acteurs dans une stratégie partagée de changement ; la conception d’une gouvernance à multi niveaux ; la coproduction du bien commun ; l’articulation entre des villes durables et des filières de production elles-mêmes durables ; la recherche de régimes de gouvernance adaptés à la diversité des biens et des services ; la conscience que l’organisation urbaine choisie créée des irréversibilités à long terme ; la capacité à concevoir des processus à long terme qui n’aient plus la rigidité mécanique de la planification telle que nous la connaissons ; une nouvelle pensée et une nouvelle doctrine sur la conception des villes.
6. L’établissement d’un calendrier mobilisateur
Une dynamique collective sans autorité centralisée pour la piloter suppose l’adoption d’un calendrier commun à partir duquel les initiatives de chacun s’ordonnent et se combinent. En écho au partenariat stratégique décidé entre la Chine et l’Union Européenne, le calendrier le plus naturel semble être celui des sommets annuels Chine – Europe. S’il n’est pas souhaitable que les démarches, les méthodes et les objets du travail collectif se subordonnent à un agenda officiel, il n’en reste pas moins utile d’utiliser ces rendez-vous officiels comme autant d’occasion de progresser et de mesurer les avancées. Ceci s’applique aux années 2013 et 2014 :
à l’automne 2013 serait organisé en Chine, peu avant le sommet officiel qui s’y tient, un séminaire fondateur de quelques jours où seraient construites les bases intellectuelles et méthodologiques d’un travail dans la durée. Ce séminaire réunirait les animateurs des ateliers du Forum qui traitaient déjà des questions urbaines, mais en en élargissant encore le spectre en raison de la double impulsion que donne d’un côté le nouveau partenariat stratégique et de l’autre la volonté de travailler ensemble sur le rôle des villes dans la transition vers des sociétés durables ;
à l’automne 2014, en Europe, à l’automne, quelque temps avant le sommet officiel qui pourrait ainsi être saisi des conclusions collectives, on organiserait selon la méthode déjà rodée par le Forum un ensemble d’ateliers répartis dans toutes l’Europe et accueillis par des villes ou régions européennes intéressées par le sujet spécifique qui s’y traitera, pour élargir à un public et des réseaux plus nombreux la réflexion collective entreprise en 2013, pour multiplier à cette occasion les visites de terrain, pour mutualiser les apports des jumelages, pour commencer à esquisser des pistes de solutions.
Ces deux événements structurants devraient être complétés par des initiatives plus sectorielles. On peut citer par exemple :
une rencontre des universités et des centres de formation dédiés aux professionnels des villes, pour jeter les bases d’un tronc commun à toutes les professions, interdisciplinaire, reposant sur l’aller et retour entre l’élaboration et l’analyse d’études de cas d’un côté et la formulation de principes généraux de l’autre. Ce tronc commun matérialiserait la nécessité de développer, au fil des années, un milieu professionnel euro-chinois porteur de la transition. Ce tronc commun se prolongerait par la construction en commun de modules pédagogiques pour une formation présentielle ou à distance ;
la construction d’un site web documentaire réunissant le meilleur de la connaissance et de l’expérience sur les villes et les processus de transition. Un prototype est déjà disponible, le site citego (Cités, Territoires, Gouvernance) www.citego.info que l’ensemble des parties prenantes au Forum s’engagerait à nourrir, améliorer, utiliser ;
des travaux collectifs d’étudiants associant des universités, des centres de formation de fonctionnaires, des centres de formation permanente, qui choisiraient des thèmes d’approfondissement en commun. La réalisation par chaque étudiant sur ce thème de fiches d’expériences viendrait par ailleurs nourrir le site web commun. On peut même imaginer une récompense des meilleures équipes d’étudiants, consistant en une visite de découverte et d’approfondissement en Chine et en Europe ;
l’organisation « d’ateliers » euro-chinois, dont certains prototypes existent déjà, consistant, à la demande d’une ville, à réunir des étudiants ou des jeunes professionnels venus de multiples horizons culturels et professionnels invités à proposer ensemble une solution concrète à un problème posé ;
la mise en place d’une « bourse aux échanges » confrontant demandes et offres de visite de terrains en Chine et en Europe.
Cette liste ne peut être qu’indicative : elle se concrétisera et s’enrichira grâce aux initiatives des uns et des autres.
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